dimanche 10 août 2008

mardi 1 juillet 2008

Lettre ouverte à Stéphane Dion sur son tournant vert

Lettre ouverte à Stéphane Dion,
Honorable député de Saint-Laurent Cartierville
Chef du Parti Libéral du Canada



Depuis que votre organisation politique a procédé le 19 juin dernier, à la publication de son Plan Vert, on a assisté, sur la scène politique, à une surenchère d’épithètes, allant du panégyrique le plus superlatif aux critiques les plus tranchantes. Certains parlent du tournant vert du Parti Libéral. D’autres s’empressent d’ajouter que vous tournez au vert pour mieux nous faire tourner au rouge, réduisant par là toute cette clameur médiatique à des velléités bassement électorales. D’autres encore n’y voient que des paroles, car, prétendent-ils, vos objectifs sont tellement dérisoires, vous avez mis la barre tellement bas, qu’il est impossible que vous ignoriez que votre plan soit ridiculement misérable devant l’ampleur de la crise des gaz à effet de serre. Finalement il y a ceux qui croient que seul un cancre en finances puisse raisonnablement croire en la plausibilité économique d’un tel montage qui, croient-ils, n’autorise qu’une seule certitude, soit celle d’enfoncer le pays, qui est déjà en récession, dans un gouffre financier amer et d’œuvrer à enlever au Canada tout avantage comparatif dans ses échanges internationaux. Les partis politiques de l’opposition, le parti conservateur, les militants écolos, Greenpeace, David Suzuki, tous se croient obligés, à raison ou à tort, d’honorer votre proposition verte de leur petit commentaire et analyse. Qu’il nous soit permis , en marge de ces envolées de mauvaise rhétorique et cette cacophonie de syllogismes affolants, de soumettre les prétentions de votre plan à un examen autant de ses présupposés philosophiques, de sa pertinence écologique que de sa plausibilité financière.
Tout d’abord, nous savons que la vision d’un monde étroitement anthropocentrique qui place l’homme et le monde dans un rapport de hiérarchie factice a déjà épuisé toutes ses possibilités. L’image, d’un homme, maître et seigneur de la nature, régnant en monarque absolu sur le monde et investi d’une mission émancipatrice au destin lié à un progrès inévitable et garanti, est depuis longtemps obsolète. Depuis, au moins, les deux guerres mondiales du siècle dernier, nous avons fait l’amère expérience des dérives possibles de la science, la maxime riche de sagesse philosophique qu’une ‘’science sans conscience n’est que ruine de l’âme’’ s’est inscrite avec une actualité douloureuse au cœur de notre expérience collective. Désormais l’idée même d’une raison omnipotente et nécessairement émancipatrice est difficile à supporter. La phase d’exploitation frénétique du monde par l’occident, inaugurée à l’aube de la Renaissance, se sera définitivement achevée. Qu’un gouvernement, comme l’administration Harper, se refuse à prendre acte de ce fait, voilà qui condamne cette dernière à demeurer dans les oubliettes de l’histoire, voilà qui démasque sa vision écologique préhistorique en immobilisme assassin. Évidemment, prendre acte de l’inscription de l’homme dans la nature ne saurait servir de prétexte à une liquidation rétrograde des acquis fondateurs de la modernité occidentale et à un retour à une conception holiste et hétéronome de l’homme. Il ne saurait s’agir de remplacer le totalitarisme du sujet par le totalitarisme, non moins répréhensible, du monde. Aussi me permettrais-je de vous inviter à la vigilance et à la plus grande prudence philosophique lorsque dans votre plan vert vous dites ‘’ Nous devons faire notre part afin de contrer la crise provoquée par les changements climatiques, pour préserver non seulement notre grand pays et notre mode de vie mais aussi la planète tout entière et les millions de personnes dont la vie est en péril.’’ Il ne saurait être question d’immerger le citoyen canadien dans un tout cosmique ou il serait vidé de toute substance propre, noyé dans une transcendance bon marché à la sauce écolo. Sans un penser global, l’agir local risque de s’effondrer dans un activisme aveuglément délirant.
Mais, monsieur le député, vous me permettrez d’être sceptique quant à la pertinence des politiques néolibérales à bâtir une réelle vision écologique. C’est une nouvelle pédagogie des besoins que requiert la nouvelle éthique de l’environnement. Et il n’y a rien de tel dans l’économie de votre plan.
Puis-je attirer votre attention sur un fait capital qui a pourtant été oblitéré dans les discussions suscitées par votre plan. . En effet, votre plan vert est silencieux sur la réalité maintes fois rappelée dans le débat environnementaliste que si l’on généralisait à l’ensemble de la population mondiale la consommation moyenne d’énergie des États-Unis, les réserves connues de pétrole seraient épuisées en dix-neuf jours. Vous comprendrez alors, monsieur le chef du parti libéral, que l’inégalité entre les riches et les pauvres n’est pas un accident de parcours du néolibéralisme, au contraire, c’est une condition nécessaire et essentielle de son être et de son devenir. Quand vous proposez, comme vous le faites dans votre plan vert, des crédits d’impôt pour les familles les plus démunies ainsi que des protections pour les retraités, vous ne contribuez, monsieur le député, qu’à reconduire le système actuel dans toutes ses contradictions et ses apories. Vous pourrez jouer au redresseur d’inégalités ponctuelles aussi longtemps que vous le voulez, un véritable plan vert ne saurait faire l’économie d’une lutte générale à la structure de consommation actuelle fondée sur le gaspillage, l’ostentation, l’aliénation marchande et l’obsession accumulatrice. Sinon, votre plan ne fera qu’avaliser un changement de consommation, tout en autorisant encore autant de consommation, sinon davantage de consommation.
N’est-il pas paradoxal, par ailleurs, qu’une proposition verte ayant la prétention de lutter contre les GES n’ait rien prévu comme correctif quant au comportement du consommateur à la pompe d’essence ? Ne craignez-vous que cela soit traduit comme une subvention du pétrole à la pompe en refilant les profits au consommateur sous la forme de pétrole moins cher ? Qu’avez-vous à répondre à ceux qui vous taxeront d’encourager la consommation d’énergies polluantes en utilisant les ressources du gouvernement ? Comment pouvez-vous vous assurer que cette économie à la pompe ne servira pas à acheter de plus gros utilitaires, plus polluants et plus énergivores ?
En réalité votre plan se contente d’une pratique minimaliste du développement durable : cette écologie faible risque de conduire un éventuel gouvernement libéral à de bien curieux compromis sur les organismes génétiquement modifiés, sur les sites d’enfouissement de déchets, sur la destination actuelle de 67 % de notre pétrole et de 57 % de notre gaz naturel vers le marché américain. Rien de cela n’est entamé par votre nouvelle proposition verte.
A lire votre plan vert, la défense de l’environnement est devenu non seulement un concept publicitaire, mais aussi un véritable marché lucratif. C’est faire injure à ma foi indéfectible et inaliénable au credo écologique. C’est également la meilleure façon de vous discréditer auprès des Canadiens. Car nous savons tous que la rationalité économique et les valeurs écologistes authentiques s’inscrivent dans un rapport d’incompatibilité sans appel. Non, Monsieur le député, mon rêve d’un monde plus vert n’est pas à vendre et il est hors de question que vous travestissiez mon plus doux espoir en une marchandise échangeable de l’économie libérale. Votre plan vert n’est qu’un plaidoyer faisant l’injonction aux corporations et aux multinationales pétrolières de domestiquer la force de subversion écologiste.

En lisant ce plan vert qui compile cinquante ans de morale économique écologiste on est frappé par l’absence totale de toute considération de justice et d’équité dans l’élaboration de ses mécanismes de fonctionnement. Il ne peut exister de plan véritablement vert sans une réflexion corollaire sur la structure inégale de l’accessibilité à l’énergie. On sait en effet que 67% de la production pétrolière canadienne et 57% de notre gaz naturel sont destinés au marché américain ou 5 % de la population mondiale consomment 25 % du pétrole. Ce qu’il nous faut c’est une nouvelle éthique de la suffisance, une pédagogie de l’utile et du nécessaire, la réhabilitation de la décroissance.
On assiste donc là à une idolâtrie du dollar vert et à une absence quasi totale de toute considération humaine et citoyenne face à cette nouvelle économie toute puissante qui se considère comme sa propre finalité et ne vise que soi pour valeur ultime. Une écologie molle ne contribuerait qu’à donner au corporatisme financier de nouvelles bases d’exploitation et de domination.
Je voudrais vous partager ma crainte que la taxe sur le carbone, si elle n’est accompagnée de mesures pénales et d’une véritable éthique du suffisant, de l’utile et du nécessaire, ne contribue à faire croire aux corporations et aux multinationales pétrolières que la réduction des émissions soit une autorisation à normativer la liberté des citoyens, ou encore à faire asseoir une équivalence entre ‘’plus vert’’ et ‘’plus juste’’ ou ‘’plus équitable’’.Que même dans une économie plus verte se pose encore le problème de l’inégalité abusive de la richesse dans notre société et dans le monde.
C’est pourtant là une réalité qui dépasse les lignes partisanes. Il n’appartient ni aux Conservateurs, ni au Bloc, ni au NPD, ni aux Libéraux de noyer les injustices et les inégalités dans un océan de principes respectables et à la mode, de travestir la justice sociale en écologisme bon marché.
Il ne s’agit pas d’une peccadille qu’on peut mettre au compte des détails à résorber progressivement. C’est là que se trouvent les raisons du désastre écologique. Elles s’appellent la rapacité, l’avarice, l’appât du lucre. Et ça ce n’est pas une taxe qui peut y remédier, quelle que soit son bien-fondé, par ailleurs. La décence la plus élémentaire interdit ici et maintenant toute négociation d’une valeur aussi cardinale de notre vivre ensemble. Elle n’est pas à négocier.

Pouvez-vous nous dire qui sont ces instances que vous dites avoir consulté dans l’élaboration de votre plan. Vous parlez d’une certaine ‘’coalition pour un budget vert’’. Se pourrait-il que vous ayez confié l’écriture de votre plan vert à des institutions et des personnes qui sont à la fois juges et parties, et qui sont donc partiales ? Si oui, que leur avez-vous promis en retour advenant l’élection d’un gouvernement libéral ?
Il ne suffit pas de répondre ‘’nous stimulerons l’innovation au Canada à travers toute l’économie canadienne en encourageant l’investissement dans les technologies qui permettront de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre…’’Les Canadiens ont le droit de savoir la teneur des négociations et des pourparlers que vous avez eus avec les représentants de l’industrie dans l’élaboration de ce plan. Vous pouvez être assuré dès aujourd’hui, monsieur le chef du parti libéral, que nous ne choisirons jamais entre notre attachement aux valeurs démocratiques et notre volonté d’un Canada plus propre et plus vert.
La belle idée d’un Canada plus vert, plus propre, passe nécessairement par les institutions démocratiques. Ceci n’est pas négociable. Je ne veux pas d’une écologie imposée d’en haut. Je ne suis pas prêt à tout pour sauver la planète.
Et peu m’importe que ce plan respecte mieux que celui des Conservateurs les exigences de Kyoto. La base de référence de 1990, le niveau de réduction fixé à 20 %, l’échéancier de 2020, tout cela ne constitue que des réaménagements du corporatisme financier pour mieux neutraliser l’écologie et pervertir de l’intérieur la portée de ses promesses. L’argument sublime que l’on passe de la peste au choléra ne m’accommode guère d’être malade.
Finalement, si vous voulez que votre taxe sur le carbone ne se limite à un ingénieux bricolage d’intervention étatique, il vous faudra vous attaquer à ce qui est resté le grand impensé dans les discussions relatives au désastre environnemental, et je nomme la rapacité des pays du Nord, le Canada compris.

jeudi 29 mai 2008

Expérimentations Multimédia

J

mardi 20 mai 2008

Le philosophe du hip hop

Comment présenter Cornel West au public francophone.Ce professeur des études religieuses de l'université de Princeton,diplomé de Harvard est devenu au fil de ses apparitions télévisuelles une icône de la culture populaire.Prophète,acteur,dandy,éveilleur de conscience,supporteur critique d'obama,le Dr West marronne depuis deux décennies les amphithéâtres reliquaires du savoir pour afficher librement sa proximité avec les formes dites populaires d'expression telles le hip hop,le blues,sa rhétorique communicationnelle emprunte jusqu'au style oratoire des prédicateurs noirs américains.Je vous laisse avec un extrait d'entrevue.


http://www.dailymotion.com/video/x1qc8r_cornel-west-on-knowledge_events

samedi 17 mai 2008

Géométrie rêveuse d'une balle promothéenne


Laissons la parole au sujet lui-même. Sanon saisissant ou ressaisissant son geste mythique sur ce terrain allemand dans son énonciation mémorielle. Nous ferons délibérément le choix d’entendre le geste parlé de Sanon comme s’il s’agissait d’une adresse lancée depuis le non-lieu du symbolique,déployée depuis un fondement articulé aux plaines sauvages et farouches de l’imaginaire .Nous donnons le texte du match tel que Sanon le racontera lui-même dans le livre qui lui est consacré : ‘’Abandonnant leur système de contre-attaque, les Italiens n'avaient pas hésité à nous attaquer avec quatre ou cinq joueurs, ce qui démontrait clairement que l'entraineur Valcareghi faisait peu cas de l'attaque haïtienne qui, à son avis, n'était pas en mesure d'inquiéter la défense de son équipe. Isolé à la pointe de l'attaque et recevant peu de passes de mes coéquipiers, j'avais à peine tenté deux ou trois percées désespérées qui étaient vouées à l'échec. Je constatais impuissant les efforts de la défense haïtienne qui essayait de juguler la vague offensive des Italiens. Jean Joseph déployait toute la panoplie de ses qualités techniques pour calmer le jeu dans la zone, Wilner Nazaire utilisait tout son potentiel physique pour s'opposer à la puissance athlétique e ses adversaires. Sur l'aile, Bayonne et Pelao essayaient de colmater les brèches et Henry Francillon en état de grâce, réalisait des sorties extraordinaires et des plongeons acrobatiques afin d'empêcher le ballon de pénétrer dans les buts. Tom Pouce et Philippe Vorbe au milieu du terrain s'ingéniaient à temporiser le jeu. La première mi-temps s'acheva sur le score de 0-O. L'Italie débuta la 2eme mi-temps avec plus d'agressivité, visiblement vexée d'avoir été tenue en échec. Une passe de Chinaglia pour Rivera qui glisse le ballon pour Bonetti. Fachetti très avancé reçoit le ballon et sollicite Riva. Wilner Nazaire bien placé dévie le ballon de la tête vers Philippe Vorbe qui contrôle le ballon et d'une frappe sèche catapulte le ballon dans ma direction. Spinosi, le seul défenseur qui s'interposa entre moi et Dino Zoff, eut un moment d'hésitation pour me marquer ou essayer d'intercepter le ballon. Je profitai de ce moment et comme une gazelle, j'entamai ma course. Surpris par mon accélération soudaine qui l'avait laissé derrière moi, Spinosi essaya de me retenir en s'agrippant à mon maillot. D'un coup de coude, je dégageai sa main et balle au pied, je me présente dans la surface de réparation face à Dino Zoff et au destin. Réalisant que le portier italien était sorti de sa cage pou diminuer l'angle de tir. Ce mouvement aurait pu me forcer à shooter, mais j'étais maître de moi-même, les réflexes sous contrôle. En l'espace d'une seconde, j'ai revu mes duels contre les gardiens du stade Sylvio Cator. J'avais marqué tant de buts dans une position pareille. Comme un serpent hypnotisant sa proie, je fixais Dino Zoff dont le visage traduisait une frayeur certaine. Je feintai Ie tir, Zoff plongea dans la direction où il croyait pouvoir intercepter le ballon. En état d'apesanteur, mon corps s'incurva en un mouvement pendulaire de droite à gauche et de mon pied gauche, j'ai exécuté un crochet sec qui laissa mon vis-à-vis comme un pantin désarticulé, sa main droite labourant le sol. Dans un ultime effort, Zoff essaya de me déséquilibrer en retenant mon pied droit, mais j'avais déjà glissé le ballon dans les filets. Un but à la Manno Sanon que j'avais réalisé tant de fois, mais qui, cette fois, avait une saveur particulière car il consacrait l'effort non seulement d'une équipe, mais aussi d'un peuple, le peuple haïtïen qui à ce moment vibrait avec moi". Extrait de l'ouvrage « Toup Pou Yo » de Manno Sanon paru en 1997

Tout a commencé donc par un abandon. L’Italie aurait abandonné son système de contre-attaque. D’emblée le buteur inscrit la genèse de son geste dans un relâche, une détente, voir une paresse de l’équipe adverse. S’il faut croire Sanon le but qui va transposer le corps haïtien dans les cathédrales du signifiant est un but volé, dérobé, ravi au sommeil de la squadra azzura. Un but tiré de la chair paressante des italiens. Sanon, à peine les premiers mots lâchés sur cet affrontement, échappe déjà dans les contours qui sont ceux de son énonciation,les traits qui s’approchent d’un portrait de femme surprise. En effet l’abandon des Italiens évoque une Vénus endormie, offrant une pose indiscrète à la curiosité du regard, affichant une générosité fautive. Évidemment puisque c’est de foot qu’il s’agit (et qu’il s’agira tout au long de notre analyse) l’image de la Vénus endormie recevra de la logique propre au jeu du football un infléchissement particulier:pour le footballeur l’autre est une version féminisée, féminisante, efféminée, voire homosexuelle de laquelle l’enjeu du match consiste justement à protéger sa masculinité.(nous promettons d’élaborer plus bas cette conduite de l’anti-castration dans l’inconscient du foot).Pour l’instant constatons avec Manno que le joueur italien,le répondant réel dans sa version efféminée,homosexuelle,de cette vénus symbolique qui est le manque du jeu,abandonne sa vigilance,suspend sa veille, commet une trêve malhabile trahissant ainsi un orgueil indigne et démesuré. De son point d’observation ‘’isolé à la pointe de l’attaque’’ le buteur prend acte et fait de cet abandon dans le camp de ses adversaires. Son regard balaie amoureusement l’espace virginal de cet abandon; Son cœur gambade plus vite que ses jambes de feu au spectacle de cette chair italienne paresseusement ouverte, généreusement exposée, livrée, le temps d’un éternel scintillement, à la fougue passionnée des balles haïtiennes. (Je rappelle tout de suite, à l’encontre de toute interprétation trop aisée, qu’il faut garder en mémoire que ce sont des Hommes qui sont sur le terrain et que le foot est toujours une affaire essentiellement masculine. Ce sont donc des mâles qui jouent contre des mâles. J’insiste d’autant plus qu’une approche quelque peu romantisante pourrait aisément tomber dans la tentation d’y voir une mécanique de conquête féminine et de soumission de l’autre sexe mais nous croyons qu’il n’en est rien et que même lorsque le signifiant du ballon rond concède quelque chose au féminin il ne le fait que pour mieux préserver la conduite essentiellement masculine qui le travaille de l’intérieur).Ainsi donc les Italiens abandonnent leur contre-attaque. Cela, Manno n’a pas manqué de le relever. De son lieu d’amère solitude, tout isolé ‘’à la pointe de l’attaque’’ il souffre le martyr de l’attente. Il souffre d’autant plus qu’il soupçonne les Italiens de manquer de considération pour ses frères de jeu. La raison de l’abandon des Italiens c’est qu’ils faisaient ‘’peu de cas de l’attaque haïtienne,’’ comme s’ils ‘’ne pouvaient inquiéter la défense italienne’’. La défense en psychanalyse est l’acte par lequel un sujet confronté à une représentation insupportable la refoule, faute de pouvoir la lier par un travail de pensée aux autres pensées. Mais c’est aussi la dent largement dépassante, pointue de certains mammifères dont l’éléphant, le morse, le sanglier…Nous sommes autorisés certainement à entendre le mot de Sanon en gardant à l’esprit les strates inconscientes dont est porteur l’évocation de la défense. Pour nous il est clair que malgré et au-delà du texte purement sportif le buteur en prenant la parole s’engage en fait dans une verbalisation de ses fantasmes et de ses désirs les plus inavoués,les plus inavouables. Gardons en mémoire pour l’instant que le buteur national haïtien perçoit que les Italiens refoulent leurs dents, rentrent leurs pointes, reposent leurs défenses. Continuons de prêter foi à la parole de Sanon ‘’Isolé à la pointe de l’attaque, recevant peu de passes de mes coéquipiers’’. Je ne m’attarderai pas longtemps quant aux modalités sémantiques par lesquelles sont inter reliées les substantifs ‘pointe’ et ‘passe’. Si la pointe de l’attaque est le lieu symbolique d’où sont dirigés et braqués sur l’ennemi italien les ‘’canons’’ haïtiens la passe quant à elle reste dans le langage populaire dans le registre de l’acte sexuel entre une prostituée et son client. Elle confère l’idée d’une transmission, d’un passage, d’un trajet parcouru, d’un travail exécuté par un outil. Sans une passe au buteur pas de laissez-passer pour le territoire ennemi. C’est la mort sur place, c’est l’immobilité d’un insupportable comma. Or le temps file, à grandes coudées de lumière vers la fin de la mi-temps. Le temps qui n’est pas toujours l’allié des derniers venus. Un temps qui passe sourd et aveugle aux prouesses de jadis. Un temps qui n’en a que pour l’instant dont il fait déjà une modalité de l’éternité. Sanon est de l’étoffe des héros. Le foot est son souffle, sa sueur, son sel, il est hors question pour lui de jouer comme s’il s’agissait d’un passe-temps. Ce qu’il lui faudrait ce serait plutôt une contre-passe. Pour littéralement scier cette Italie de pierre qui résiste toujours. ‘’J’avais à peine tenté deux ou trois percées désespérées’’. Voilà notre buteur en Louverture du ballon rond. Ces percées désespérées qu’il a pu réaliser_ entendez les trouées timides opérées dans la défense italienne_ succèdent à l’action tranchante de la pointe plus haut évoquée. Car l’idée de la trouée est tributaire de celle de la rupture du dispositif des défenses ennemies, dans le but déclaré d’une pénétration profonde (l’ajout du déterminant circonstanciel ‘’dans le territoire de l’ennemi’’ sert de masque ou de refoulement c’est selon). Nous nous conterons de retenir que Manno Sannon devient dans ce jeu de passes passe sur ce terrain allemand un nouvel avatar de Toussaint Louverture et cela par l’unique affrontement autour d’une balle qu’on passe,qu’on glisse qu’on frappe qu’on tire dans le but ultime de pénétrer son rival. Il ne sera pas exagéré de dire de lui, s’il réussit son pari qu’il effectuera, sur la ligne évolutionnaire de l’histoire d’Haïti, une percée louverturienne. Poursuivons :’’je constatais impuissant les efforts…’’Sannon va faire ici le chemin inverse de ce qui sera dix ans plus tard l’expérience de l’écrivain Danny Laferrière qui commença son œuvre par un intempestif comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer pour la finir avec cet aveu d’épuisement décevant je suis fatigué .Un jeune Noir de vingt-trois ans impuissant! L’imaginaire culturel de l’Occident risque de s’y perdre. L’adjectif à lui seul pourrait tenir lieu de résistance. Voire de guerre déclarée à la machine désirante occidentale. En tout cas entrave à l’outillage mental que forme l’assemblage des construits culturels. Des sorties désespérées, un Sanon impuissant devant la ligne de défense italienne. L’impuissance toute sportive de Sanon ramène nécessairement le statut de toute une collectivité nationale qui croupit sous la dictature des Duvalier. Impuissance des masses haïtiennes devant les machinations de Duvalier pour faire advenir sa république héréditaire, impuissance de Sanon devant la ligne de défense de ses adversaires. Dans les deux cas le désir est ramené à son point de refoulement, forcé de s’investir en des dépenses marquées d’errances, de vagabondages, de fuites au risque de l’effondrement total des instances psychiques. Le joueur n’est pas sans savoir la mécanique souterraine par laquelle ces deux impuissances jouent leur miroitement réciproque dans le regard de l’autre. Il sait qu’il est impossible pour l’autre de voir l’une sans poser aussitôt l’autre, le chemin du sens ou le regard d’autrui s’efforce de le confiner passe nécessairement par l’attraction obligée de ces deux pôles magnétiques. L’individualité de son jeu même sera toujours comprise comme la résultante de ces deux points de fuite. Par paresse. Par commodité. Mais peut-être par pur besoin de rationalité aussi. Il nous faut des causes, des antériorités de pensée et de fait, des associations perceptives, des rapprochements d’espace et de temps. Nous sommes des êtres de raison. L’idée du hasard n’est point une idée de l’homme. Aussi peut-on sentir avec Sannon cette impuissance comme une écharde dans la chair, comme l’aiguillon porteur d’un parfum qui a le goût de la honte.
Ils essayaient de juguler ‘’la vague offensive des Italiens’’. Il y a deux façons d’entendre cette expression : l’offensive des Italiens est vague ; la vague italienne est une vague offensive. Le contexte milite pour la seconde voie interprétative. Aussi traiterons-nous vague dans son emploi substantif. La dramatisation de la vague et des pluies orageuses a souvent dans la littérature haïtienne une fonction de destruction et de dévastation. La vague italienne de Sanon rappelle dans sa détermination et l’imminence des dangers qu’elle traîne avec elle ses mots de Pierre Clitandre dans sa cathédrale du mois d’aoust « II avait plu durant tout un jour sans arrêt et l'avalasse avait emporte vers la mer des lits aux ressorts brises, des tôles rouillées, des planches de bicoques effondrées et autres objets hétéroclites, sous les cris angoisses des habitants de la zone. Le lendemain, sous un soleil de zombie jaloux, ces derniers découvrirent des cadavres d'hommes, de femmes et de chiens, obstruant la bouche d'égout et flottant sur une eau sale » (21). La vague de Sanon est évocatrice de mort et de désolation. C’est une vague assassine. Gérard Étienne dans La reine soleil levée n’est pas moins alarmant « Les habitants pauvres éprouvent une peur morbide des pluies d'orage. Des gouttes s'égrènent sur les tôles semblables à des boules de feu, s'infiltrent à travers les murs lézardes de baraques, réduisent en mousse les nattes de jonc » (57-58) ».Sannon en sait assez des vagues pour connaître leurs effets meurtriers et saboteurs. Autant les cyclones que les pluies torrentielles ont marqué de leur empreinte dévastatrice la morphologie blessée de l’île d’Haïti. Inondations, disparitions des terres arables, pertes de vies humaines et de biens, le cortège des épaves au passage de ces eaux est un fleuve de mort « Entreprise saboteuse des eaux de pluie. De nombreux torrents charriant des carcasses de meubles, des marmites rouillées, des branches d'arbres, des paniers crevés, des empeignes racornies, des pots de chambre troues, des cuvettes défoncées, des tôles cabossées et toutes sortes d'objets écrabouilles, ont envahi les rues » dira l’iconoclaste Frankétienne dans Ultravocal(211). De plus dans un ordre purement symbolique la vague est cette nostalgie de la mère. La fixation à la mère peut être plus tardive et se colorer sur le versant oedipien de tout le désir sexuel. Il est vraiment dur d’admettre de ne pas pouvoir posséder l’être que l’on aime le plus au monde, de toutes les manières et sur toutes les dimensions. Le grand interdit reste la vue du sexe de la mère et la fascination qu’il exerce vient de ce qu’il est aussi le pays d’où je viens. On voit donc comment dans le texte du match se joue et se déjoue les stratégies discursives qui placent et replacent la position du signifiant. Par la vague le jeu se donne dans sa position de jeu pour la mort où se tissent les enjeux d’une archéologie marine capable d’accueillir le sujet tout en achevant sa perte et son unité.
Dans le compte-rendu de Sanon, la partie qui suit remplira à la fois la fonction de préparation à l’aménagement du geste qui le propulsera dans l’ordre symbolique des Haïtiens et de témoignage rendant justice aux actants de l’avant geste. Elle prend la forme d’une onomastique héroïque qui reprend le sillage de cette chorégraphie féerique cent fois rejouée dans l’imaginaire haïtien. Il faut l’entendre comme le geste délibéré de la part du buteur de Don Bosco de dire lui-même, à ce point de son histoire personnelle et de l’histoire collective, ces noms auxquels tous les enfants haïtiens se sont identifiés un jour, alors qu’ils jouaient avec une balle de fortune dans une ruelle passante, sur un terrain mal pavé ou sur la galerie d’une devanture de magasins. « Jean Joseph… Wilner Nazaire… Bayonne et Pelao… Henry Francillon… Tom Pouce… Philippe Vorbe ».Sanon en reprenant cette onomastique fondatrice nomme pour tout haïtien le vrai nom du football national. Ce ne sont pas des noms d’hommes mais un condensé des moments indépassables du footballistique haïtien, un topo de la règle de distribution des possibles dans la géométrie des corps ludiques. Ce sont des noms, des modèles, des exemples, des buts, c’est un acte de l’histoire qui n’a jamais eu lieu dans l’histoire, c’est déjà l’horizon indépassable de toutes les conduites corporelles haïtiennes. C’est une énumération où s’exhale le souffle ardent qui porte l’énergie du foot imaginaire et idéal. C’est la fabrique imaginaire de tous les jouets_ petits et grands, artisanaux et industriels, ceux des classes laborieuses et ceux des nantis_ qui échouent sur le chemin de l’appropriation masculine dans les foyers haïtiens. C’est la constellation magique qui circonscrit la voie périlleuse des rites de passage menant au stade adulte. Ce que Sanon campe pour nous ici, en reparcourant la galerie de ces Immortels, c’est ce frisson mythique qui traverse tout notre être et qui depuis n’a cessé de le traverser, chaque fois que nous pensons à ces chorégraphes de 1974 qui, d’un simple ballon au pied, allaient signer une fois pour toutes l’advenue du Jeu dans la conscience haïtienne. . « Jean Joseph… Wilner Nazaire… Bayonne et Pelao… Henry Francillon… Tom Pouce… Philippe Vorbe » voilà, nous rappelle Sanon, les thaumaturges Ptoléméens par lesquels le don gracieux du Jeu fut présenté au devenir haïtien.
Ils « essayaient de colmater des brèches » poursuit le buteur mythique. Sanon continue ici d’exploiter le champ lexical de l’ouverture (trouée- percée) inauguré plus haut. Toute cette partie se tient dans le cadre du registre du symbolique de la Mer et de l’ouverture. « sorties extraordinaires », « plongeons acrobatiques », « empêcher le ballon de pénétrer dans les buts ».Sanon nous ramène (consciemment ou inconsciemment,cela importe peu)à un lieu dont le symbole de l’eau est éminemment prédominant. La parole du buteur suit le sillage d’un chemin d’eau originaire comme si elle nous invitait à faire avec lui le chemin des Hommes du Paléolithique qui veillant sur une grotte marine préhistorique, progressent dans les longs couloirs sinueux, les boyaux resserrés et les fentes étroites qui aboutissent à des salles vastes comme des cathédrales.


La position en début de match est une non position. Les joueurs des deux équipes se font face les uns aux autres. Rien ne saurait advenir dans la permanence de cette position. Le missionnaire, comme symbolique positionnelle du phallus est au foot la position du néant. C’est la perspective même de l’inertie, voire de la défaite. Jouer au foot c’est tendre à pousser la balle vers le lieu auquel fait dos l’adversaire. Tout footballeur est un sodomite. On dribble, on glisse la balle, on la passe et la repasse jusqu’à ce qu’elle pénètre (dans) le filet, qui est au dos du gardien, au dos de toute l’équipe contre laquelle on vient de marquer. Entre temps, cette balle qui roule délimite la sphère des masculinités, mises à l’épreuve, masculinités affolées par cette balle de l’autre redoutable et pénétrante de derrière, masculinités triomphantes lancées comme une balle de plomb dans le filet de l’autre. Peu compte le lieu intime de l’agression .Ce qui compte c’est qui fait l’action d’agresser. Dans cette affaire de balle à loger au dos de son adversaire on comprendra que le foot reste toujours une pratique du stade anal. Le texte de son jeu s’écrit toujours au verso.


Foucault

je voudrais un jour travailler sur la dette quelque peu diffuse et diluée de Foucault à l'égard de ce professeur iconoclaste et autodidacte qu'a été Gaston Bachelard.

mardi 13 mai 2008

Culture et Impérialisme

je présente à titre d'amuse gueule ce bel article du Monde Diplomatiquehttp://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-03-03-Culture-et-Imperialisme
Les réactions viendront plus tard

lundi 25 février 2008

Camille loti malebranche:la foudre obstinée du verbe

Il a déjà pratiqué la philosophie dans l’enceinte des établissements scolaires de son pays. Originaire d’Haïti, pour l’instant il voyage. Cuba, le Mexique, Québec. Il met en route le vers de Baudelaire « ah que le monde est grand à la clarté des lampes! Aux yeux du souvenir comme il est tout petit ».Ne pouvant échapper à l’impératif migratoire qui commande aux destins de la quasi- totalité des intellectuels du Tiers-monde, c’en est un autre qui connaîtra les joies et les pleurs du statut de visiteur en terre étrangère. Il a en lui assez de fantaisie pour jouer par moments au diplomate de passage, au visiteur extraordinaire et plénipotentiaire, au « Tocqueville »en mission officielle, mais son cynisme abyssal trahit très vite la marque d’un naturel philosophe nativement contestataire, marginal dès l’origine. Son ironie est un vertige qui embrumerait jusqu’à la plénitude des fleurs les plus chéries de l’histoire de la pensée occidentale. Il constitue cet esprit étrange qui sera intarissable en éloges devant une chanson de Brassens alors qu’il vient de congédier l’analytique transcendantale de Kant pour abus spéculatif ou surenchère métaphysique; C’est là un des milliers de paradoxes qui façonnent cette sensibilité philosophique qu’il peut sauter d’allégresse en déclamant un vers de Claudel que plus d’un jugeraient passable et qu’en même temps il soit prêt à rompre une amitié qui ose préférer Voltaire à Rousseau. Sa pensée ne se conçoit pas sans amplitude, il forge ses armes philosophiques à l’échelle de la démesure. Son advenue à la philosophie est si entière qu’elle disqualifie des valeurs approuvées comme l’équilibre, le juste, la tempérance…Il ne sait pas faire dans le moyen. Sa palette philosophale réclame des sens aveugles et sourds à la rectitude ambiante. Il est hors d’atteinte de la police du verbe. Il pense par renversement, par charge provocatrice, par assaut de polémique.
Étoffe de polémiste
C’est tout un arsenal de guerre que ce redoutable polémiste déploie dans ses publications. Il préfère d’ailleurs les articles courts et circonstanciels plus propices à honorer son génie colérique. Il attaque ses adversaires sur un front triple :
1) Il les accuse de contribuer au marasme social et économique du pays
C’est le leitmotiv de ¨ Haïti mort au hiératisme historico politique¨, l’idée-force qui prévaut à ¨ Haïti il faut en finir avec le support culturel de la tyrannie ¨,c’est aussi la stratégie textuelle mise en œuvre dans¨ Haïti tant que¨.Un prototype de la rhétorique tranchante de Malebranche en éveilleur de conscience et prophète populaire : « Sans théocratie ou monarchie théocratique, comme respectivement dans l’Israël des juges et l’Égypte des pharaons, Haïti cultive un imbécile hiératisme politique qui voit le chef au-dessus de l’espèce humaine comme messie ou porte-parole d’un messianisme cosmique en faveur des masses » Malebranche fustige les politiciens de son pays pour hiératisme i.e travestissement du politique en messianisme,sacralisation des charges politiciennes ,transfiguration de la classe politique en classe sacerdotale ou survient le drame de « l’acteur politique posé en ministre des dieux et dieu lui-même »
Le ton est lancé. Les hostilités sont ouvertes. La classe politique haïtienne pèche par hiératisme. Donc par sacramentalisation du lieu du pouvoir. Le résultat est une séparation nette et profonde entre les dirigeants et les dirigés. Un irréductible dualisme des gouvernants et des gouvernés. Une schizophrénie foncière qui ronge les fils d’un même peuple. Trop égalitariste pour se satisfaire de toute forme de favoritisme, le voilà qui monte aux barricades pour mettre à jour les desseins cachés de ces prêtres et pasteurs candidats « Après le petit prêtre déchu, nous n’avons que faire de protestants maniérés ayant d’ailleurs trempé à tous les râteliers, prêts à danser nus, s’il le faut, pour devenir « chef »!Il renvoie dos à dos le clergé catholique et les ministres protestants. Malsaine juge-t-il cette promiscuité du cléricalisme d’avec le politique. Peut être pense-t-il à Bodin, à Bossuet., à la lignée douteuse des théoriciens du pouvoir qui ont forgé de toutes pièces le mythe de la transcendance du Léviathan dans l’unique but de mieux asseoir leur ascendance personnelle sur le plus grand nombre. Peut être sont-ce les fastes encore récents de l’ex président-prêtre, Jean-Bertrand Aristide qui avisent sa vigilance et le font en appeler à une franche laïcité. Il n’en demeure pas moins que dans ses imprécations multiples contre cet hiératisme qui étouffe l’autonomie de l’éthique politique de son pays c’est le jeu même des légitimations du pouvoir en Haïti qui est ici pris à partie. Déjà dans les tenants et aboutissants menant à la mise en candidature l’ordre politique haïtien est vicié. Avant même la publicité du nom de l’élu et des règles de fonctionnement de la procédure électorale, les jeux sont déjà truqués puisqu’il y a méprise sur le but recherché. Ailleurs on devient candidat à une élection politique parce qu’on pense que la majorité partagent notre vision nationale et les moyens de la mettre en ouvre, en Haïti, on devient candidat parce que Dieu nous a choisi à titre de messie national, étant le seul citoyen encore capable de montrer le chemin à la majorité égarée. L’assymétrie des deux positions en dit long sur le contexte justifiant les attaques de Malebranche. L’accusation n’est pas banale : non reconnaissance par le clergé haïtien des acquis démocratiques ayant mené à la consécration de la spécifité de la chose publique. Naïveté de séminaristes imputable à leur angélisme politique ou volonté déclarée d’imposer une hégémonie de type religieux au reste de la société. Pas forcément exclusives les deux thèses.


Malebranche saisit au vol le prétexte des élections nationales pour porter son diagnostic dévastateur quant à l’immaturité politique des classes gouvernantes de son pays. La méthode est toujours la même :partir du fait divers, fixer la clameur de la presse et des mass médias pour mieux faire front sur les enjeux majeurs qui interpellent la mémoire collective. Aucune nouvelle n’est trop vulgaire pour déshonorer son entendement ,pas un seul soubresaut de l’actualité ne trahisse la vigilance de sa pensée. L’image la plus sûre que nous donne cet écrivain sur l’exercice philosophique est celle d’un filet dont les mailles sont si bien serrées que rien n’en échappera. C’est pourquoi il porte plusieurs masques. Autant de bêtises à traquer autant d’attitudes intellectuelles. Autant de lubies à démasquer autant de raids de l’intelligence. Autant de mythes à déconstruire autant de sensibilités martiales. Il sera donc à la fois le journaliste d’enquête, le directeur de conscience, l’écrivain public, le prophète charismatique, le polémiste universel,le professeur de rue, le fossoyeur d’évidences, le sorcier désobligeant, le charmeur de Loas vaudou, l’éclaireur de conscience, l’objecteur de la morale publique, le patriote dissident, le maître inconnu, la bête noire des conférenciers, l’invité rebelle des instituts, la voix insoumise des tribunes radiophoniques. Il sera tout cela et plus encore! Mais il est par dessus tout philosophe. Philosophe sans reddition. Passionné d’arguments porteurs de sauvages clartés, fou de dialectiques intempestives ,amoureux de raisonnements riches et prodigues où le même vient parfois à la rencontre de l’autre. Philosophe, Malebranche l’aura été sans appel. A l’ancienne, sans fioritures savantes, sans parachute académique, hors des balises institutionnelles de la discipline. Il réhabilite pour nous ce que la figure d’un Spinoza ou d’un Descartes avait de plus charmant (et hélas combien contraire au goût philosophique actuel) : l’image du penseur non aligné, le héros des lettres qui ne s’en laisse pas imposer par la scolastique triomphante, le chevalier solitaire qui affine dans le silence de sa retraite ses armures secrètes, l’infatigable hoplite de la pensée libre et libératrice. Philosophe batailleur aussi. Philosopher pour philosopher ne convient pas du tout à cette âme engagée. Pour lui philosopher c’est soumettre son esprit à l’épreuve de l’autre, c’est risquer le meilleur de soi au test du temps, c’est s’engager totalement dans un exercice moral où l’enjeu n’est rien de moins que la vérité elle-même. S’engager dans la démarche philosophique sans le parti pris de la vérité voilà ,à ses yeux, ce qui résume la dérive certaine de la pensée contemporaine. Ce parti pris pour la vérité a pour corollaire une éthique eudémoniste, un souci de soi, une inquiétude pour le vrai, une pratique visant à maîtriser dans le quotidien tout ce qui pourrait éloigner de la vérité. On comprend dès lors que rien ne sera plus éloigné de ce penseur que le statut de l’intellectuel emmuré dans la tour d’ivoire de son cabinet de travail, à l’abri des forces agissantes du monde. Travestissement de la pensée que ces publications spécialisées des professeurs mandatés par l’université bourgeoise pour veiller sur ses valeurs bourgeoises! Simulacre de savoir que la vulgate experte que les programmes officiels font passer pour philosophie! Imposture scandaleuse que les slogans militaires et industriels élevés au rang de paradigme scientifique ou d’épistémè philosophique! Philosophe donc engagé.

Son œuvre se déploie en trois versants. D’abord un appel à la transformation des structures de mentalité et de comportement des classes gouvernantes haïtiennes;ensuite une déconstruction du discours néocolonial occidental(particulièrement celui de la France) qu’il soupçonne vouloir garder ses anciennes prérogatives métropolitaines tout en jouant le bon Samaritain humanitaire ;finalement un versant plus polémique qui l’amène à échanger avec quelque figures culturelles notoires(Depestre, Trouillot, Régis Debray, Michaelle Jean…)

Le réformateur des mœurs et des mentalitésLes considérations de moralité publique sont la pierre de touche de la pensée réformatrice de Malebranche. Il fustige les bien-pensants de la société haïtienne en déclarant « L'Élite haïtienne est à créer. Il n’y a pas d'élite sans projet de société, sans une vision assignant essence et identité politique et économique au social, sans assumation rationnelle de la gestion du pays, sans projection systématico-institutionnelle du mode social voulu. Il ne peut y avoir d'Élite informelle! Or notre pays baigne dans l'informel » Le philosophe refuse aux groupes dominants de son pays l’appellation d’élite. Pour déficit de projet, de vision, de rationalisation publique, de projection imaginative. L’idée n’a rien de bien sorcier : Une élite ne reste que nominale si elle ne parvient à s’élever aux qualités morales indistinctes de ses prérogatives. Paresse de langage ! Impropriété de la langue! « Ce n'est que par lacune lexicale de la langue qu'ils sont appelés de la sorte ». Cette répudiation de la notion d’élite pour désigner les classes dirigeantes sera le prétexte d’une disjonction radicale entre Vraie Élite et Diplômés. Il leur concédera aux seconds le vocable de « scolarisés » quoique « bêtes à manger du foin » et « calques des penseurs classiques » « sans nul effort ni volonté d'une pensée propre et autonome. »Ils pèchent donc par imitation. Par servitude volontaire. Leur crime est d’avoir choisi la commodité au défi. Et évidemment leur relation avec la vraie élite prend la forme tragique d’un conflit ultime! « Ils forment des clans sordides contre tout esprit libre qui ose apostropher le réel sans soumission à des modes préfabriqués de penser » Accusation de parasitisme de l’élite. Doublée d’une charge de ressentiment contre les esprits libres de la même fausse élite. L’auteur ne fait pas dans la soie avec l’establishment haïtien...

mardi 12 février 2008

Jean Fils-Aimé pour une évangile vaudou

Jean Fils-Aimé
Les analyses,très éclairantes du docteur Jean Fils-Aimé ,appellent des observations critiques et plusieurs questionnements.
Défend l’idée de la possibilité et/ou de la nécessité d’articuler un devenir-vaudou de l’évangile et un devenir-évangile du vaudou. On peut réduire l’évangile à un noyau qui désamorcerait ses velléités culturelles hégémoniques. Parallèlement ,le vaudou haïtien dispose déjà de croyances et de pratiques similaires ou semblables à l’évangile .Si je comprends bien, il y a un évangile vaudouisable pour le vaudouisant et un vaudou christianisable pour le chrétien. Ma question :si cette transformation résulte de l’identité des termes compris alors l’évangile n’apporterait rien au vaudou ni le vaudou à l’évangile;si elle résulte d’une interprétation alors Fils-Aimé doit nommer le lieu (transcendant par rapport au vaudou et à l’évangile) d’où une telle interprétation tient son fondement. Dans le premier cas, il n’y a pas vraiment de fusion, mais dédoublement, répétition, excroissance;dans le second il y a un risque de nivellement ,de corruption, d’altération posée par la violence d’un tiers(le vaudou fusionné pourrait ne rien garder du vaudou véritable;de même que l’évangile).Dans le premier cas il n’y a pas fusion, dans le deuxième cas il y a fusion mais problème quant à(l’identité de) ce qu’on a fusionné.
Comment rendre compte de cette antinomie ?Pourquoi le projet d’un devenir-vaudou de l’évangile et d’un devenir-évangile du vaudou butte t-il sur cette difficulté?
1)Fils-Aimé(comme tout penseur engagé dans une démarche dialectique)doit s’opposer à toute définition essentialiste tant du vaudou que de l’évangile. Ainsi à la question « qu’est-ce que le vaudou haïtien »la seule réponse qui lui soit permise(à la suite de Caron, Fontus …)c’est « le ciment de la culture haïtienne ».Il ne lui est pas possible d’élaborer une définition plus précise;de circonscrire le vaudou dans un concept plus restrictif. Il doit le garder ouvert à toute détermination, disponible pour toute rencontre ultérieure. Même chose pour l’évangile. Au-delà d’un vague « mort et résurrection de Jésus-Christ »aucune précision quant à la nature de l’évangile. L’entreprise dialectique ne lui laisse guère le choix :s’il veut procéder à une rencontre des deux il doit laisser l’un comme l’autre ouvert, indéterminé, disponible. Mais cela revient à dire aussi les garder comme des ombres fugitives, des squelettes sans vie, des fantômes irréels. Autrement dit, ce qu’il peut gagner dans la dialectique (s’il la réussit)il le perd dans l’analytique :son vaudou-évangile sera d’autant plus net que son vaudou ou son évangile sera vague, étendu, expansif, confus presque. A cette nécessaire imprécision et confusion quant à la nature des termes de sa dialectique s’ajoute un second inconvénient tout aussi incontournable.
2)Fils-Aimé(de même que tout dialecticien)doit minimiser le rôle d’une instance tierce sans laquelle pourtant ce devenir vaudou de l’évangile ou ce devenir évangile du vaudou ne saurait advenir. Il mentionne timidement que ce sont les missionnés eux-mêmes qui décideront de la part de l’évangile capable d’être exportée à leur culture. Pas plus. Pourtant c’est déjà assez pour entrevoir ou la possibilité d’une fin de non recevoir culturelle au soit-disant « mort et résurrection de j-c »ou celle d’une méprise de ce noyau par les missionnés(méprise il faut le rappeler qui est finale et sans appel puisqu’il n’y a pas d’essence à priori de l’évangile). Le destin problématique des deux possibilités laisse soupçonner l’opération d’une « main invisible »qui agit à titre de police régulatrice et donne un coup de pouce à l’avènement de la synthèse. Fils-Aimé doit nommer cette police secrète sans laquelle il ne nous reste que la magie des lwas ou le saint-esprit pour concocter par enchantement ce Christ noir. Surtout que nous la soupçonnons d’être présente autant dans la décision originaire des missionnés que dans le maintien ultérieur des acquis de celle-ci. Donc minimisation des agents extérieurs au complexe vaudou-évangile par qui une telle synthèse peut advenir. Par conséquent troisième inconvénient structurel :
3)Le modèle missiologique de Fils-Aimé (et des adeptes de l’enculturation)est on ne peut plus improbable :le missionnaire présente l’évangile(i.e. la mort et résurrection du Christ)à l’autochtone, ce dernier regarde si celle-ci à une quelconque pertinence pour sa culture ,s’il peut répondre à l’affirmative alors il devra l’investir chrétiennement dans les paramètres qui sont ceux autorisés par sa culture. Imaginons un scénario pour illustrer les prétentions des enculturationnistes :le missionnaire proclame « Jésus est l’agneau de Dieu immolé pour les péchés du monde » ,le hic c’est que notre autochtone n’a jamais vu d’agneaux de toute sa vie. Selon les enculturationnistes, il devrait pouvoir remplacer « agneaux »par « porcs »ou tout autre objet connu de lui dont la fonction s’approcherait de la pratique sacrificatoire hébraïque. Évidemment le même exercice s’applique pour tout le reste de la phrase (« Dieu » « péchés » « monde »).Qu’en est-il d’une culture polythéiste ou paganiste(plusieurs dieux) qui ne connaît pas la notion de la faute et qui ne croit qu’en l’individu? Où va-t-elle trouver le sol pour « enculturer »l’évangile?Pourquoi est-ce si extravaguant de penser que certaines cultures sont tout simplement opaques à l’évangile?N’est-ce pas une pétition de principe de postuler que toute culture est capax evangelii .
Malgré toutes les protestations de l’école enculturationniste, elle semble toujours tributaire de ce parallélisme naïf qui faisait le lot des contextualistes et adaptionnistes culturels. Il suffirait de connaître le contenu d’une culture pour pouvoir traduire ou adapter celui-ci à une autre culture .Il est vrai que ceci peut aider une église à choisir des tam-tam plutôt que la lyre mais c’est complètement inutile pour décider au préalable s’il faut oui ou non avoir des instruments de musique dans la maison de Dieu .Autrement dit aussi longtemps que le passage en est un d’adaptation, il ne fait pas problème;à preuve les missionnaires n’ont fait que ça jusqu’ici;ce qui est moins certain c’est le message même, cette fameuse « mort et résurrection »elle-même. Peut-on la recevoir en dehors des cadres historiques de l’occident chrétien sans rien sacrifier de sa culture, sans rien renoncer à son outillage mental, sans rien soustraire à la tradition ancestrale, sans court-circuiter les traces de la mémoire collective?Une réponse à l’affirmative ne va pas de soi. Fils-Aimé peut pousser le message chrétien jusqu’à sa plus petite expression il en restera toujours quelque chose de culturé, et de culturant, d’irréductiblement hébraïque, d’opaque, qui ne passe pas de lui-même dans une autre culture sans un petit coup de pouce (du missionnaire ou du missionné).C’est cette violence qui n’est pas prise en compte par les tenants de l’enculturation. Il ne leur vient jamais à l’esprit que leur prétendue valorisation de la culture locale par le christianisme puisse ne pas aller plus loin qu’un vœu pieu ou une pétition de principe et que pour le reste, ils restent des adaptionnistes ou des contextualistes, i.e. des accommodateurs de la forme.
4) Ensuite, on peut demander à Fils-Aimé si la compatibilité du vaudou à l’évangile est la résultante de facteurs historiques ou si c’est une compatibilité originelle, anhistorique et principielle. Dans le premier cas le missionné est livré à lui-même ,il ne lui reste qu’à espérer que ses pratiques finiront un jour peut-être par libérer leurs propriétés émancipatrices, dans le second le vaudou devient en soi une pratique évangélique, plus on est vaudouisant plus on est chrétien!Fatalité de l’histoire d’un coté, fatalité du dogme de l’autre. Le missionné est offert soit aux forces aveugles du temps, soit à la bonne grâce des principes .Dans les deux cas il ne possède aucun critère qui lui soit propre lui permettant de juger par lui-même de la compatibilité de ses pratiques évangéliques d’avec sa culture. Son agir risque d’être paralysé devant le chaos infini des possibles ,pauvres jouets livrés à un principe aveugle ou une histoire fatale. Dans le premier cas on ne peut voir qu’après coup qu’une pratique évangélique était compatible avec le vaudou;dans le second toute pratique évangélique en vaut une autre, il ne fait même pas de sens de poser la question de la compatibilité du vaudou et de l’évangile, les deux étant présumés semblables ou identiques. Une autre formulation de la première alternative pourrait être la suivante :avant que le vaudou ait été un facteur de réveil de la conscience nationale le christianisme pouvait raisonnablement ne pas s’inquiéter des conséquences anti-vaudou de ses croyances et de ses pratiques mais depuis l’éveil de la mouvance indigéniste dans les consciences haïtiennes tout christianisme haïtien doit se préoccuper des incidences de l’évangile sur le vaudou. On pourrait reprocher à cette image du christianisme son opportunisme, son évolutivisme intéressé, bien d’autres choses encore, mais certainement pas sa cécité historique. Il est évident qu’il s’agirait là d’un christianisme bien implanté dans le devenir culturel de sa société. Je crois que Fils-Aimé serait déjà moins sévère avec le protestantisme haïtien actuel si ce dernier garantissait ce seuil minimal de proximité avec le vaudou et la culture en général. Ce qui ne veut pas dire pour autant que cette conception soit sans difficulté. Tout d’abord un tel déterminisme historique confine l’évangile à une position permanente de réaction à l’égard de la culture;le chrétien sera toujours à la traîne du vaudouisant; celui-là ne sera jamais l’instigateur d’aucun élan émancipateur dans sa société. S’il est vrai qu’il rejoindra le vaudouisant dans sa lutte identitaire après coup,le chrétien dans une telle conception de la première alternative ne pourra s’empêcher pour autant la juste étiquette d’opportuniste, et peut-être pire, d’homme de peu de conviction, de conformiste amorphe. Pourtant c’est ce conservatisme qui est de mise dans plusieurs milieux ecclésiastiques, et peut-être dans d’autres sphères sociales. Seul le travail du temps fait que plusieurs institutions rejoignent les transformations culturelles opérées seules par d’autres secteurs d’une société donnée. Au début un noyau infime peut se retrouver à l’avant-garde d’une nouvelle mouvance pour toute sorte de raison propre à lui. C’est seulement après, fort d’une pédagogie éprouvée dans le temps que cette transformation obtienne la bénédiction de la société entière. Il peut s’agir d’années mais il peut s’agir de siècles tout aussi. Cette pratique est courante donc. Ce qui est particulier à l’image du conservatisme de la première alternative c’est qu’il le pose comme intrinsèque à l’évangile, il devient un trait permanent de son être, son destin est d’être réactionnaire. Là s’arrête toute similarité avec les autres conservatismes. Il élève le conservatisme en dogme. Il revendique le statu quo .