lundi 25 février 2008

Camille loti malebranche:la foudre obstinée du verbe

Il a déjà pratiqué la philosophie dans l’enceinte des établissements scolaires de son pays. Originaire d’Haïti, pour l’instant il voyage. Cuba, le Mexique, Québec. Il met en route le vers de Baudelaire « ah que le monde est grand à la clarté des lampes! Aux yeux du souvenir comme il est tout petit ».Ne pouvant échapper à l’impératif migratoire qui commande aux destins de la quasi- totalité des intellectuels du Tiers-monde, c’en est un autre qui connaîtra les joies et les pleurs du statut de visiteur en terre étrangère. Il a en lui assez de fantaisie pour jouer par moments au diplomate de passage, au visiteur extraordinaire et plénipotentiaire, au « Tocqueville »en mission officielle, mais son cynisme abyssal trahit très vite la marque d’un naturel philosophe nativement contestataire, marginal dès l’origine. Son ironie est un vertige qui embrumerait jusqu’à la plénitude des fleurs les plus chéries de l’histoire de la pensée occidentale. Il constitue cet esprit étrange qui sera intarissable en éloges devant une chanson de Brassens alors qu’il vient de congédier l’analytique transcendantale de Kant pour abus spéculatif ou surenchère métaphysique; C’est là un des milliers de paradoxes qui façonnent cette sensibilité philosophique qu’il peut sauter d’allégresse en déclamant un vers de Claudel que plus d’un jugeraient passable et qu’en même temps il soit prêt à rompre une amitié qui ose préférer Voltaire à Rousseau. Sa pensée ne se conçoit pas sans amplitude, il forge ses armes philosophiques à l’échelle de la démesure. Son advenue à la philosophie est si entière qu’elle disqualifie des valeurs approuvées comme l’équilibre, le juste, la tempérance…Il ne sait pas faire dans le moyen. Sa palette philosophale réclame des sens aveugles et sourds à la rectitude ambiante. Il est hors d’atteinte de la police du verbe. Il pense par renversement, par charge provocatrice, par assaut de polémique.
Étoffe de polémiste
C’est tout un arsenal de guerre que ce redoutable polémiste déploie dans ses publications. Il préfère d’ailleurs les articles courts et circonstanciels plus propices à honorer son génie colérique. Il attaque ses adversaires sur un front triple :
1) Il les accuse de contribuer au marasme social et économique du pays
C’est le leitmotiv de ¨ Haïti mort au hiératisme historico politique¨, l’idée-force qui prévaut à ¨ Haïti il faut en finir avec le support culturel de la tyrannie ¨,c’est aussi la stratégie textuelle mise en œuvre dans¨ Haïti tant que¨.Un prototype de la rhétorique tranchante de Malebranche en éveilleur de conscience et prophète populaire : « Sans théocratie ou monarchie théocratique, comme respectivement dans l’Israël des juges et l’Égypte des pharaons, Haïti cultive un imbécile hiératisme politique qui voit le chef au-dessus de l’espèce humaine comme messie ou porte-parole d’un messianisme cosmique en faveur des masses » Malebranche fustige les politiciens de son pays pour hiératisme i.e travestissement du politique en messianisme,sacralisation des charges politiciennes ,transfiguration de la classe politique en classe sacerdotale ou survient le drame de « l’acteur politique posé en ministre des dieux et dieu lui-même »
Le ton est lancé. Les hostilités sont ouvertes. La classe politique haïtienne pèche par hiératisme. Donc par sacramentalisation du lieu du pouvoir. Le résultat est une séparation nette et profonde entre les dirigeants et les dirigés. Un irréductible dualisme des gouvernants et des gouvernés. Une schizophrénie foncière qui ronge les fils d’un même peuple. Trop égalitariste pour se satisfaire de toute forme de favoritisme, le voilà qui monte aux barricades pour mettre à jour les desseins cachés de ces prêtres et pasteurs candidats « Après le petit prêtre déchu, nous n’avons que faire de protestants maniérés ayant d’ailleurs trempé à tous les râteliers, prêts à danser nus, s’il le faut, pour devenir « chef »!Il renvoie dos à dos le clergé catholique et les ministres protestants. Malsaine juge-t-il cette promiscuité du cléricalisme d’avec le politique. Peut être pense-t-il à Bodin, à Bossuet., à la lignée douteuse des théoriciens du pouvoir qui ont forgé de toutes pièces le mythe de la transcendance du Léviathan dans l’unique but de mieux asseoir leur ascendance personnelle sur le plus grand nombre. Peut être sont-ce les fastes encore récents de l’ex président-prêtre, Jean-Bertrand Aristide qui avisent sa vigilance et le font en appeler à une franche laïcité. Il n’en demeure pas moins que dans ses imprécations multiples contre cet hiératisme qui étouffe l’autonomie de l’éthique politique de son pays c’est le jeu même des légitimations du pouvoir en Haïti qui est ici pris à partie. Déjà dans les tenants et aboutissants menant à la mise en candidature l’ordre politique haïtien est vicié. Avant même la publicité du nom de l’élu et des règles de fonctionnement de la procédure électorale, les jeux sont déjà truqués puisqu’il y a méprise sur le but recherché. Ailleurs on devient candidat à une élection politique parce qu’on pense que la majorité partagent notre vision nationale et les moyens de la mettre en ouvre, en Haïti, on devient candidat parce que Dieu nous a choisi à titre de messie national, étant le seul citoyen encore capable de montrer le chemin à la majorité égarée. L’assymétrie des deux positions en dit long sur le contexte justifiant les attaques de Malebranche. L’accusation n’est pas banale : non reconnaissance par le clergé haïtien des acquis démocratiques ayant mené à la consécration de la spécifité de la chose publique. Naïveté de séminaristes imputable à leur angélisme politique ou volonté déclarée d’imposer une hégémonie de type religieux au reste de la société. Pas forcément exclusives les deux thèses.


Malebranche saisit au vol le prétexte des élections nationales pour porter son diagnostic dévastateur quant à l’immaturité politique des classes gouvernantes de son pays. La méthode est toujours la même :partir du fait divers, fixer la clameur de la presse et des mass médias pour mieux faire front sur les enjeux majeurs qui interpellent la mémoire collective. Aucune nouvelle n’est trop vulgaire pour déshonorer son entendement ,pas un seul soubresaut de l’actualité ne trahisse la vigilance de sa pensée. L’image la plus sûre que nous donne cet écrivain sur l’exercice philosophique est celle d’un filet dont les mailles sont si bien serrées que rien n’en échappera. C’est pourquoi il porte plusieurs masques. Autant de bêtises à traquer autant d’attitudes intellectuelles. Autant de lubies à démasquer autant de raids de l’intelligence. Autant de mythes à déconstruire autant de sensibilités martiales. Il sera donc à la fois le journaliste d’enquête, le directeur de conscience, l’écrivain public, le prophète charismatique, le polémiste universel,le professeur de rue, le fossoyeur d’évidences, le sorcier désobligeant, le charmeur de Loas vaudou, l’éclaireur de conscience, l’objecteur de la morale publique, le patriote dissident, le maître inconnu, la bête noire des conférenciers, l’invité rebelle des instituts, la voix insoumise des tribunes radiophoniques. Il sera tout cela et plus encore! Mais il est par dessus tout philosophe. Philosophe sans reddition. Passionné d’arguments porteurs de sauvages clartés, fou de dialectiques intempestives ,amoureux de raisonnements riches et prodigues où le même vient parfois à la rencontre de l’autre. Philosophe, Malebranche l’aura été sans appel. A l’ancienne, sans fioritures savantes, sans parachute académique, hors des balises institutionnelles de la discipline. Il réhabilite pour nous ce que la figure d’un Spinoza ou d’un Descartes avait de plus charmant (et hélas combien contraire au goût philosophique actuel) : l’image du penseur non aligné, le héros des lettres qui ne s’en laisse pas imposer par la scolastique triomphante, le chevalier solitaire qui affine dans le silence de sa retraite ses armures secrètes, l’infatigable hoplite de la pensée libre et libératrice. Philosophe batailleur aussi. Philosopher pour philosopher ne convient pas du tout à cette âme engagée. Pour lui philosopher c’est soumettre son esprit à l’épreuve de l’autre, c’est risquer le meilleur de soi au test du temps, c’est s’engager totalement dans un exercice moral où l’enjeu n’est rien de moins que la vérité elle-même. S’engager dans la démarche philosophique sans le parti pris de la vérité voilà ,à ses yeux, ce qui résume la dérive certaine de la pensée contemporaine. Ce parti pris pour la vérité a pour corollaire une éthique eudémoniste, un souci de soi, une inquiétude pour le vrai, une pratique visant à maîtriser dans le quotidien tout ce qui pourrait éloigner de la vérité. On comprend dès lors que rien ne sera plus éloigné de ce penseur que le statut de l’intellectuel emmuré dans la tour d’ivoire de son cabinet de travail, à l’abri des forces agissantes du monde. Travestissement de la pensée que ces publications spécialisées des professeurs mandatés par l’université bourgeoise pour veiller sur ses valeurs bourgeoises! Simulacre de savoir que la vulgate experte que les programmes officiels font passer pour philosophie! Imposture scandaleuse que les slogans militaires et industriels élevés au rang de paradigme scientifique ou d’épistémè philosophique! Philosophe donc engagé.

Son œuvre se déploie en trois versants. D’abord un appel à la transformation des structures de mentalité et de comportement des classes gouvernantes haïtiennes;ensuite une déconstruction du discours néocolonial occidental(particulièrement celui de la France) qu’il soupçonne vouloir garder ses anciennes prérogatives métropolitaines tout en jouant le bon Samaritain humanitaire ;finalement un versant plus polémique qui l’amène à échanger avec quelque figures culturelles notoires(Depestre, Trouillot, Régis Debray, Michaelle Jean…)

Le réformateur des mœurs et des mentalitésLes considérations de moralité publique sont la pierre de touche de la pensée réformatrice de Malebranche. Il fustige les bien-pensants de la société haïtienne en déclarant « L'Élite haïtienne est à créer. Il n’y a pas d'élite sans projet de société, sans une vision assignant essence et identité politique et économique au social, sans assumation rationnelle de la gestion du pays, sans projection systématico-institutionnelle du mode social voulu. Il ne peut y avoir d'Élite informelle! Or notre pays baigne dans l'informel » Le philosophe refuse aux groupes dominants de son pays l’appellation d’élite. Pour déficit de projet, de vision, de rationalisation publique, de projection imaginative. L’idée n’a rien de bien sorcier : Une élite ne reste que nominale si elle ne parvient à s’élever aux qualités morales indistinctes de ses prérogatives. Paresse de langage ! Impropriété de la langue! « Ce n'est que par lacune lexicale de la langue qu'ils sont appelés de la sorte ». Cette répudiation de la notion d’élite pour désigner les classes dirigeantes sera le prétexte d’une disjonction radicale entre Vraie Élite et Diplômés. Il leur concédera aux seconds le vocable de « scolarisés » quoique « bêtes à manger du foin » et « calques des penseurs classiques » « sans nul effort ni volonté d'une pensée propre et autonome. »Ils pèchent donc par imitation. Par servitude volontaire. Leur crime est d’avoir choisi la commodité au défi. Et évidemment leur relation avec la vraie élite prend la forme tragique d’un conflit ultime! « Ils forment des clans sordides contre tout esprit libre qui ose apostropher le réel sans soumission à des modes préfabriqués de penser » Accusation de parasitisme de l’élite. Doublée d’une charge de ressentiment contre les esprits libres de la même fausse élite. L’auteur ne fait pas dans la soie avec l’establishment haïtien...

mardi 12 février 2008

Jean Fils-Aimé pour une évangile vaudou

Jean Fils-Aimé
Les analyses,très éclairantes du docteur Jean Fils-Aimé ,appellent des observations critiques et plusieurs questionnements.
Défend l’idée de la possibilité et/ou de la nécessité d’articuler un devenir-vaudou de l’évangile et un devenir-évangile du vaudou. On peut réduire l’évangile à un noyau qui désamorcerait ses velléités culturelles hégémoniques. Parallèlement ,le vaudou haïtien dispose déjà de croyances et de pratiques similaires ou semblables à l’évangile .Si je comprends bien, il y a un évangile vaudouisable pour le vaudouisant et un vaudou christianisable pour le chrétien. Ma question :si cette transformation résulte de l’identité des termes compris alors l’évangile n’apporterait rien au vaudou ni le vaudou à l’évangile;si elle résulte d’une interprétation alors Fils-Aimé doit nommer le lieu (transcendant par rapport au vaudou et à l’évangile) d’où une telle interprétation tient son fondement. Dans le premier cas, il n’y a pas vraiment de fusion, mais dédoublement, répétition, excroissance;dans le second il y a un risque de nivellement ,de corruption, d’altération posée par la violence d’un tiers(le vaudou fusionné pourrait ne rien garder du vaudou véritable;de même que l’évangile).Dans le premier cas il n’y a pas fusion, dans le deuxième cas il y a fusion mais problème quant à(l’identité de) ce qu’on a fusionné.
Comment rendre compte de cette antinomie ?Pourquoi le projet d’un devenir-vaudou de l’évangile et d’un devenir-évangile du vaudou butte t-il sur cette difficulté?
1)Fils-Aimé(comme tout penseur engagé dans une démarche dialectique)doit s’opposer à toute définition essentialiste tant du vaudou que de l’évangile. Ainsi à la question « qu’est-ce que le vaudou haïtien »la seule réponse qui lui soit permise(à la suite de Caron, Fontus …)c’est « le ciment de la culture haïtienne ».Il ne lui est pas possible d’élaborer une définition plus précise;de circonscrire le vaudou dans un concept plus restrictif. Il doit le garder ouvert à toute détermination, disponible pour toute rencontre ultérieure. Même chose pour l’évangile. Au-delà d’un vague « mort et résurrection de Jésus-Christ »aucune précision quant à la nature de l’évangile. L’entreprise dialectique ne lui laisse guère le choix :s’il veut procéder à une rencontre des deux il doit laisser l’un comme l’autre ouvert, indéterminé, disponible. Mais cela revient à dire aussi les garder comme des ombres fugitives, des squelettes sans vie, des fantômes irréels. Autrement dit, ce qu’il peut gagner dans la dialectique (s’il la réussit)il le perd dans l’analytique :son vaudou-évangile sera d’autant plus net que son vaudou ou son évangile sera vague, étendu, expansif, confus presque. A cette nécessaire imprécision et confusion quant à la nature des termes de sa dialectique s’ajoute un second inconvénient tout aussi incontournable.
2)Fils-Aimé(de même que tout dialecticien)doit minimiser le rôle d’une instance tierce sans laquelle pourtant ce devenir vaudou de l’évangile ou ce devenir évangile du vaudou ne saurait advenir. Il mentionne timidement que ce sont les missionnés eux-mêmes qui décideront de la part de l’évangile capable d’être exportée à leur culture. Pas plus. Pourtant c’est déjà assez pour entrevoir ou la possibilité d’une fin de non recevoir culturelle au soit-disant « mort et résurrection de j-c »ou celle d’une méprise de ce noyau par les missionnés(méprise il faut le rappeler qui est finale et sans appel puisqu’il n’y a pas d’essence à priori de l’évangile). Le destin problématique des deux possibilités laisse soupçonner l’opération d’une « main invisible »qui agit à titre de police régulatrice et donne un coup de pouce à l’avènement de la synthèse. Fils-Aimé doit nommer cette police secrète sans laquelle il ne nous reste que la magie des lwas ou le saint-esprit pour concocter par enchantement ce Christ noir. Surtout que nous la soupçonnons d’être présente autant dans la décision originaire des missionnés que dans le maintien ultérieur des acquis de celle-ci. Donc minimisation des agents extérieurs au complexe vaudou-évangile par qui une telle synthèse peut advenir. Par conséquent troisième inconvénient structurel :
3)Le modèle missiologique de Fils-Aimé (et des adeptes de l’enculturation)est on ne peut plus improbable :le missionnaire présente l’évangile(i.e. la mort et résurrection du Christ)à l’autochtone, ce dernier regarde si celle-ci à une quelconque pertinence pour sa culture ,s’il peut répondre à l’affirmative alors il devra l’investir chrétiennement dans les paramètres qui sont ceux autorisés par sa culture. Imaginons un scénario pour illustrer les prétentions des enculturationnistes :le missionnaire proclame « Jésus est l’agneau de Dieu immolé pour les péchés du monde » ,le hic c’est que notre autochtone n’a jamais vu d’agneaux de toute sa vie. Selon les enculturationnistes, il devrait pouvoir remplacer « agneaux »par « porcs »ou tout autre objet connu de lui dont la fonction s’approcherait de la pratique sacrificatoire hébraïque. Évidemment le même exercice s’applique pour tout le reste de la phrase (« Dieu » « péchés » « monde »).Qu’en est-il d’une culture polythéiste ou paganiste(plusieurs dieux) qui ne connaît pas la notion de la faute et qui ne croit qu’en l’individu? Où va-t-elle trouver le sol pour « enculturer »l’évangile?Pourquoi est-ce si extravaguant de penser que certaines cultures sont tout simplement opaques à l’évangile?N’est-ce pas une pétition de principe de postuler que toute culture est capax evangelii .
Malgré toutes les protestations de l’école enculturationniste, elle semble toujours tributaire de ce parallélisme naïf qui faisait le lot des contextualistes et adaptionnistes culturels. Il suffirait de connaître le contenu d’une culture pour pouvoir traduire ou adapter celui-ci à une autre culture .Il est vrai que ceci peut aider une église à choisir des tam-tam plutôt que la lyre mais c’est complètement inutile pour décider au préalable s’il faut oui ou non avoir des instruments de musique dans la maison de Dieu .Autrement dit aussi longtemps que le passage en est un d’adaptation, il ne fait pas problème;à preuve les missionnaires n’ont fait que ça jusqu’ici;ce qui est moins certain c’est le message même, cette fameuse « mort et résurrection »elle-même. Peut-on la recevoir en dehors des cadres historiques de l’occident chrétien sans rien sacrifier de sa culture, sans rien renoncer à son outillage mental, sans rien soustraire à la tradition ancestrale, sans court-circuiter les traces de la mémoire collective?Une réponse à l’affirmative ne va pas de soi. Fils-Aimé peut pousser le message chrétien jusqu’à sa plus petite expression il en restera toujours quelque chose de culturé, et de culturant, d’irréductiblement hébraïque, d’opaque, qui ne passe pas de lui-même dans une autre culture sans un petit coup de pouce (du missionnaire ou du missionné).C’est cette violence qui n’est pas prise en compte par les tenants de l’enculturation. Il ne leur vient jamais à l’esprit que leur prétendue valorisation de la culture locale par le christianisme puisse ne pas aller plus loin qu’un vœu pieu ou une pétition de principe et que pour le reste, ils restent des adaptionnistes ou des contextualistes, i.e. des accommodateurs de la forme.
4) Ensuite, on peut demander à Fils-Aimé si la compatibilité du vaudou à l’évangile est la résultante de facteurs historiques ou si c’est une compatibilité originelle, anhistorique et principielle. Dans le premier cas le missionné est livré à lui-même ,il ne lui reste qu’à espérer que ses pratiques finiront un jour peut-être par libérer leurs propriétés émancipatrices, dans le second le vaudou devient en soi une pratique évangélique, plus on est vaudouisant plus on est chrétien!Fatalité de l’histoire d’un coté, fatalité du dogme de l’autre. Le missionné est offert soit aux forces aveugles du temps, soit à la bonne grâce des principes .Dans les deux cas il ne possède aucun critère qui lui soit propre lui permettant de juger par lui-même de la compatibilité de ses pratiques évangéliques d’avec sa culture. Son agir risque d’être paralysé devant le chaos infini des possibles ,pauvres jouets livrés à un principe aveugle ou une histoire fatale. Dans le premier cas on ne peut voir qu’après coup qu’une pratique évangélique était compatible avec le vaudou;dans le second toute pratique évangélique en vaut une autre, il ne fait même pas de sens de poser la question de la compatibilité du vaudou et de l’évangile, les deux étant présumés semblables ou identiques. Une autre formulation de la première alternative pourrait être la suivante :avant que le vaudou ait été un facteur de réveil de la conscience nationale le christianisme pouvait raisonnablement ne pas s’inquiéter des conséquences anti-vaudou de ses croyances et de ses pratiques mais depuis l’éveil de la mouvance indigéniste dans les consciences haïtiennes tout christianisme haïtien doit se préoccuper des incidences de l’évangile sur le vaudou. On pourrait reprocher à cette image du christianisme son opportunisme, son évolutivisme intéressé, bien d’autres choses encore, mais certainement pas sa cécité historique. Il est évident qu’il s’agirait là d’un christianisme bien implanté dans le devenir culturel de sa société. Je crois que Fils-Aimé serait déjà moins sévère avec le protestantisme haïtien actuel si ce dernier garantissait ce seuil minimal de proximité avec le vaudou et la culture en général. Ce qui ne veut pas dire pour autant que cette conception soit sans difficulté. Tout d’abord un tel déterminisme historique confine l’évangile à une position permanente de réaction à l’égard de la culture;le chrétien sera toujours à la traîne du vaudouisant; celui-là ne sera jamais l’instigateur d’aucun élan émancipateur dans sa société. S’il est vrai qu’il rejoindra le vaudouisant dans sa lutte identitaire après coup,le chrétien dans une telle conception de la première alternative ne pourra s’empêcher pour autant la juste étiquette d’opportuniste, et peut-être pire, d’homme de peu de conviction, de conformiste amorphe. Pourtant c’est ce conservatisme qui est de mise dans plusieurs milieux ecclésiastiques, et peut-être dans d’autres sphères sociales. Seul le travail du temps fait que plusieurs institutions rejoignent les transformations culturelles opérées seules par d’autres secteurs d’une société donnée. Au début un noyau infime peut se retrouver à l’avant-garde d’une nouvelle mouvance pour toute sorte de raison propre à lui. C’est seulement après, fort d’une pédagogie éprouvée dans le temps que cette transformation obtienne la bénédiction de la société entière. Il peut s’agir d’années mais il peut s’agir de siècles tout aussi. Cette pratique est courante donc. Ce qui est particulier à l’image du conservatisme de la première alternative c’est qu’il le pose comme intrinsèque à l’évangile, il devient un trait permanent de son être, son destin est d’être réactionnaire. Là s’arrête toute similarité avec les autres conservatismes. Il élève le conservatisme en dogme. Il revendique le statu quo .